De
tous temps, l'enseigne, sous différents aspects,
a servi à distinguer les habitations d'artisans, de
négociants, voire de bourgeois.
Sculptée dans le bois ou la pierre, peinte sur panneau,
suspendue à une potence en fer forgé, elle est
un élément de l'imagerie populaire caractérisant
l'époque qui l'a vue naître. Les sujets religieux
ou allégoriques, les châteaux,
les animaux, toute une variété d'emblèmes
plus ou moins adaptés au genre de négoce exercé apparaissent
sous une forme aimable, naïve ou humoristique. L'ère
la plus féconde en enseignes s'étend du Moyen Âge
à la fin de l'Ancien Régime. Elle est marquée
par la recherche du décor
dans des voies de communication créées librement
et sans ordre.
Néanmoins, l'enseigne était exécutée
d'une manière artistique car les corporations de métiers
exerçaient une rigoureuse surveillance sur les travaux
de leurs membres.
Pour notre
ville, l'histoire de l'enseigne ne s'appuie guère
sur des témoins iconographiques des temps médiévaux.
Le sac de la ville par les troupes bourguignonnes en 1468 n'a
rien épargné des maisons médiévales
généralement construites en bois et en torchis.
Après
une longue période durant laquelle la ville ne se relève
que très lentement de ses ruines, le règne d'Érard
de la Marck inaugure une ère de renaissance ; de beaux
immeubles commencent à s'élever ici et là.
Il
est à supposer que les enseignes en saillie deviennent
trop nombreuses car, par son mandement du 17 juillet 1657,
le prince- évêque Maximilien Henri de Bavière
ordonne que « toutes les enseignes des maisons,
au lieu d'être suspendues, fussent retirées et
appliquées
contre les murailles dans le terme d'un mois, à peine
d'une amende de dix florins d'or et d'être, les dites
enseignes, démolies aux frais des propriétaires
ou locataires ». Il y eut des cas de condamnation
pour contravention à ce règlement.
C'est
alors que bon nombre de négociants firent sculpter
leur enseigne dans la pierre, surtout lorsqu'ils rebâtissaient
des maisons dont les façades devaient être faites
en pierres et briques pour éviter l'extension des incendies,
comme il advint si souvent avec les maisons à pans de
bois. D'autres villes, notamment Maastricht, possèdent
encore beaucoup d'enseignes de cette époque. Elles sont
sculptées en relief assez accentué, sinon en
ronde bosse.
Hélas,
pour Liège, un nouveau désastre
devait anéantir la plupart des maisons du centre et
d'Outremeuse. Les boulets incendiaires du maréchal de
Boufflers eurent également raison de la Violette.
Cette fois, la reconstruction des immeubles détruits
n'allait pas tarder à s'accomplir dans les meilleures
conditions. Pour s'en rendre compte, il suffit de remarquer,
entre autres,
rue de la Goffe, un cartouche portant le millésime 1692.
Dès lors, les enseignes faisant partie intégrante
des façades sont de très beaux bas-reliefs finement
sculptés continuant, d'une manière très
artistique, les anciennes appellations.
On
peut voir, à Fexhe-Slins, insérée
dans la façade d'un ancien cabaret, une enseigne assez
curieuse. Dans le texte d'un double chronogramme donnant la
date de 1778, se trouve cette phrase : « J'embellis la
rue ». Cette assertion, appliquée aux enseignes
du siècle suivant, semblerait prétentieuse, et
d'autant plus pour les enseignes lumineuses actuelles.
En effet, sous les régimes français et hollandais,
les immeubles ne témoignèrent guère que
de l’indigence
artistique, consécutive aux événements
qui troublèrent la paix et compromirent la prospérité de
nos villes.
C’est ainsi qu’au XIXe siècle, aux gracieux
bas-reliefs succédèrent de modestes enseignes
peintes sur bois ou sur tôle appliquées au-dessus
des portes des boutiques ou suspendues à des potences
en fer. Les conditions de vie s’améliorant dès
le milieu du siècle, on vit des statues en terre cuite,
parfois modelées par de réels artistes, orner
de nouveaux établissements commerciaux. Ensuite, apparurent
des sujets en zinc doré ou peint. Ne faisant pas partie
intégrante des bâtiments, ces enseignes ont, peu à peu,
disparu de nos rues auxquelles elles donnaient un aspect plus
pittoresque qu’artistique.
À la
fin du XIXe siècle, les illettrés
se faisant rares, les enseignes figuratives furent remplacées
par des inscriptions sur les vitrines ou sur de larges panneaux
de bois. Des lettres en zinc doré, en cuivre fondu,
en cristal, rendirent encore un certain cachet aux boutiques
de négociants, mais un autre genre d’enseigne
allait connaître la plus grande vogue. Celles-ci se composaient
de lettres en cuivre émaillé collées sur
une vitre teintée et encadrée de bois sommairement
sculpté. L’enseigne était suspendue à une
barre de fer en saillie.
L’abondance de ces objets sans originalité amena
l’administration communale à en limiter le nombre
et les dimensions après les avoir frappées d’une
taxe nouvelle en 1922. Ces mesures devaient avoir pour effet
de supprimer les enseignes placées à peu de hauteur
ou présentant trop de saillie. Cependant, le règlement
communal stipulait que : « La saillie minimum de 0,50
mètre à compter du nu du mur de la façade
pouvait être dépassée lorsque les enseignes
présenteront un certain cachet artistique et qu’elles
seront d’un aspect agréable. Toutefois, la saillie
de ces enseignes ne pourra dépasser un mètre
dans les rues de 5 mètres de largeur et 1,50 mètre
dans les rues plus larges ».
À la suite de ces prescriptions, notre ville connut
une période de modération dans la création
de nouvelles enseignes mais, de nos jours, le développement
triomphal de l’éclairage au néon prodigue
des réclames lumineuses surchargeant sans merci les
plus belles façades. Leur raison d’être
est d’attirer l’attention par la recherche du tape-à-l’œil.
Des
familles trouvèrent leur nom dans l’enseigne
de leur maison :
Loys dit de l’Anneau d’Or : À L’ANNEAU
D’OR ; Jehan du Château : AU CHÂTEAU DE BOUILLON
; Jehan le Sauvage : À L’HOMME SAUVAGE ; Baudouin
du Marteau : AU MARTEAU D’OR ;
Strivay : AU STRIVAU ; Guy delle Coyne de Chierf : À LA
CORNE DE SERF ; Lacroix : À LA CROIX D’OR ; Marie
et Ida du Cheval : AU CHEVAL BLANC ; etc.
En
plus des nombreux patronymes, l’enseigne a fourni
la dénomination à une quantité de rues
dont plusieurs ont, heureusement, conservé ces noms évocateurs
:
Rues
de l’Agneau, Barbe-d’Or, Bonne-Fortune, du
Casque, de la Casquette, du Champion, de la Clef, du Coq, du
Diamant, de l’Épée, du Mouton-Blanc, du
Pâquier, du Pot-d’Or, de la Poule, de la Rose,
Salamandre, de la Sirène, Tête-de-Bœuf, du
Vertbois, de la Violette, Volière. Cours et impasses
de l’Ange, de la Couronne, du Cygne, de la Vignette.
Ces
appellations familières ont été appliquées
sans recherche par la population. Ce n’est qu’en
1783 que la première dénomination officielle
fut attribuée à une nouvelle voie dédiée
au prince-évêque Velbrück.
À l'origine,
la majorité des enseignes étaient polychromes.
Aujourd'hui, elles ont perdu leurs couleurs
et dorures avec l'usure du temps.
Quelques-unes, trop rares, ont été magnifiquement
restaurées
et ont retrouvé leur éclat d'antan, parmi
lesquelles : le Pot d'Or (rue du Pot-d'Or),
À la Pomme d'Or (rue des Écoliers), Cavalier
(rue Hors-Château),
À l'Anneau d'Or (rue Donceel), Au Cigne (rue Pont-d'Île),
l'écusson de la halle aux viandes, À la Tête
d'Or (rue de l'Épée),
Au Moriane (rue Neuvice et rue Puits-en-Sock), Au Canon d'Or
(quai de la Goffe), À l'Étoille d'Or (rue Saint-Thomas),
Au Cheval d'Or (rue des Mineurs), La Samaritaine (rue Puits-en-Sock),
etc.
Une
centaine d'enseignes
sont encore visibles aujourd'hui dans les rues de Liège.
Une balade s'impose
donc...
C'est
la rive gauche avec le cœur historique de la cité qui
est de loin la plus riche en enseignes.
Présentation des enseignes en pierre sculptée (RTBF Vivacité – 12/02/2008)
Vous pouvez aussi t éléchargez et imprimez le document parcours
des enseignes qui reprend une sélection d'enseignes dans le centre historique de la cité.
Si vous connaissez d'autres enseignes, merci
de bien vouloir me les signaler (muller@fabrice-muller.be).
Cette rubrique est
extraite de l'article : MULLER Fabrice, Les enseignes
en pierre sculptée à Liège, bulletin
de la société royale Le Vieux-Liège,
2004, tome 14, nos 306-307,
p. 557-612, 56 p., 163 ill. (renseignements
et comment acquérir ).